LES LIVRES DU MOIS DE DÉCEMBRE

Salut les croustillants,

Je sais pas vous mais chez moi & comme tous les ans, le mois de décembre est placé sous le signe du drama des cadeaux de noël.

13-compress« Mais j’aime pas Noël !! ça me gonfle ! groaaaarrr »

Et j’avoue que cette année je suis particulièrement excité du bulbe parce que je trouve le principe du cadal de noël encore plus absurde et grotesque que d’habitude. Je vais pas vous faire le laïus écolo, tout le monde le connaît (si, avec le degré d’information auquel vous avez accès, vous préférez continuer à surconsommer, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Faudra pas venir pleurer le jour où l’espèce humaine s’éteindra par votre FAUTE). Il y a le coup de la Syrie aussi. Alors je veux pas me faire accuser d’être un sale bobo gauchiste bien-pensant hein : je sais que des drames affreux, il y en a tous les jours dans le monde, mais sérieusement, ce qui se passe à Alep en ce moment ne vous empêche pas de dormir ? Vous allez sérieusement ouvrir vos cadeaux de merde avec joie en oubliant ce que notre pays a contribué à faire là-bas ? C’est un putain de scandale, qui va nous revenir à la figure un de ces quatres vous verrez, et faudra pas venir se plaindre que « oh bah qu’est-ce qui se passe que de violence gratuite je comprends pas, vraiment ».

BREF, si comme moi Noël vous donne des crises de sébum pires que celles de Manuel Valls, j’ai trouvé la solution pour vous : le trolling littéraire. Alors ok, un livre c’est fait avec du papier et quelque part c’est mal (rapport à la déforestation etc). Mais l’avantage d’un bouquin, c’est qu’il peut radicaliser votre entourage pour pas cher et pratiquement sans danger (la NSA ne viendra pas vous espionner pendant que vous tournerez les pages) (bonus : vous pourrez même inciter l’heureux destinataire à offrir le livre à quelqu’un d’autre après lecture afin de poursuivre la radicalisation à L’INFINI).

Du coup je vous ai préparé une petite liste de bouquins dont on a jamais parlé ici mais qui peut-être feront chier votre entourage (et tout le monde sait que l’exaspération est le début du changement).

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« Après avoir survécu aux secousses de l’enfance, après avoir acquis l’habitude de la réflexion, il m’arrivait de méditer sur l’étrange absence de bonté véritable chez les Nègres, de réaliser combien notre tendresse était inconstante, combien nous manquions de passion vraie, combien nous étions vides d’espoirs exaltants, combien notre joie était timide, nos traditions pauvres, notre mémoire creuse, combien nous manquions de ces sentiments intangibles qui lient l’homme à l’homme et combien notre désespoir même était superficiel. Après avoir connu d’autres modes d’existence, je réfléchissais à l’ironie inconsciente de ceux qui trouvaient que les Nègres avaient une vie si passionnelle ! Je découvrais que ce qu’on avait pris pour notre force émotive était fait de notre désarroi négatif, de nos dérobades, de nos angoisses, de notre colère refoulée. Chaque fois que je pensais à l’aspect essentiellement morne de la vie noire en Amérique, je me rendais compte qu’il n’avait jamais été donné aux Nègres de saisir pleinement l’esprit de la civilisation occidentale ; ils y vivaient tant bien que mal, mais n’en vivaient pas. Et quand je songeais à la stérilité culturelle de la vie noire, je me demandais si la tendresse pure, réelle, si l’amour, l’honneur, la loyauté et l’aptitude à se souvenir étaient innés chez l’homme. Je me demandais s’il ne fallait pas nourrir ces qualités humaines, les gagner, lutter et souffrir pour elles, les conserver grâce à un rituel qui se transmettait de génération en génération ».

Le livre idéal à offrir à son petit cousin à la place du traditionnel Tom Sawyer. Pas de panique : on reste dans le même genre de littérature jeunesse car Richard Wright y raconte son enfance dans le Sud des Etats-Unis au siècle dernier – on y parle donc des eaux jaunes et endormies du Mississipi, de l’odeur de la poussière d’argile battue par la pluie fraîche, des jeux auxquels il s’adonnait avec les autres enfants, de la vie du quartier, de ses bêtises sévèrement punies par sa mère, sa tante et sa grand-mère… Sauf que ça ne se passe pas chez les Blancs mais chez les Noirs. Du coup l’impression qu’on tire du bouquin est très différente de la lecture des aventures d’Huckleberry Finn. Ici, les conséquences de la ségrégation ont un impact direct sur le développement de Richard : pauvreté, faim, absence d’affection, manque d’éducation, la violence. Bref j’en dis pas plus mais lisez et faites lire ce livre et ensuite vous y repenserez à deux fois quand vous nous sortirez le laïus du mérite et de la valeur travail.

Ce qui me fait penser que si vous n’êtes pas branché « achat de livres » (mais qui ne l’est pas?), offrir un abonnement à hors-série c’est cool aussi. Pour 30 euros par an vous avez accès à tout un tas d’émissions trop bien. Par exemple « l’Amérique blanche » avec Sylvie Laurent, enregistrée après l’élection de Trump et qui fait un bel écho aux thèmes abordés dans « black boy ».

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« Ses vues se limitaient à l’horizon qu’elle connaissait – et les esprits limités n’aperçoivent que les limites des autres. Elle confondait les bornes de son propre champ de vision, qu’elle croyait très vaste, avec les frontières de l’esprit de Martin et elle rêvait de les aplanir pour l’amener à voir comme elle, s’imaginant élargir son horizon en l’identifiant au sien ».

Jack London, c’est vraiment facile de le glisser parmi les cadeaux de Noël parce que plus personne ne se méfie de lui depuis que Croc-Blanc est devenu le livre de chevet de toute une génération de jeunes mâles attirés par la nature virile et l’aventure (n’hésitez pas à vous manifester dans les commentaires si vous vous sentez visé).

De quoi parle Martin Eden ? De classes sociales. Ou plutôt du syndrome du transclasse : Martin, ancien marin fauché, tombe amoureux d’une jeune bourgeoise et, pour gagner son affection, s’emploie à devenir écrivain. Or c’est seulement une fois arrivé au terme de son élévation sociale qu’il se rend compte que la belle, et toute sa famille, sont décevants et médiocres… Il constate alors avec effarement qu’il n’est plus chez lui nulle part : il ne sera jamais un riche car il est né pauvre, et le chemin intellectuel qu’il a dû accomplir pour s’extraire de son ancien milieu social l’empêche de faire tout retour en arrière. Ça c’est pour le pitch, somme toute assez classique mais diablement efficace. A coté de ça le livre est truffé de tout un tas de phrases méchantes que vous pourrez balancer avec décontraction aux gens qui vous énervent entre le foie gras et la dinde. Comme : « la vulgarité – une vulgarité chic, je l’admets – est le fondement du raffinement et de la culture bourgeoise ». Ou : « les chiens de garde du succès littéraire sont les ratés de la littérature : ce ne sont que des tubes digestifs, qui n’ont pas plus de sens artistique que des mollusques ».

Mais moi ce qui m’a le plus plu, c’est la critique du travail que fait le livre en sourdine. Le travail au sens travail laborieux, travail de pauvre, qui te prend tout ton temps et te laisse les membres et la tête tellement épuisés que la seule issue possible est d’aller au bar le soir et de se torcher la gueule. Il y a un passage très fort, vers le milieu du livre, dans lequel Martin choisit de démissionner de son emploi dans une blanchisserie car il réalise qu’il est abruti, empêché de penser, de vivre, d’être un être humain à part entière. Le livre montre aussi que le socialisme et la solidarité de classe (entre pauvres) est une des seules manières de mener correctement son existence (avis aux amateurs).

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Apprentis écrivains, LoveStar est un miracle : c’est la preuve qu’on peut réussir à se faire publier sans avoir pondu aucune intrigue sérieuse. Parce que je vais pas vous mentir : Andri Snaer Magnason, l’auteur, a l’air d’être un gros zinzin. On a l’impression que l’histoire qu’il a écrite est juste un machin accessoire, un truc décousu dont il essaye de ramener les coutures ensemble pour les faire tenir avec du gros scotch, mais qui lui sert surtout de prétexte pour délirer sur tout un tas de sujets accessoires. Donc si vous êtes anal de l’humour absurde, il est possible que ce livre vous énerve. Moi en tout cas, il m’a énervé.

MAIS malgré ce défaut de taille (qui n’en sera pas un pour tout le monde), ce livre a le mérite de vous faire sentir à quoi pourrait ressembler le quotidien si personne ne mettait de frein au développement d’internet, des réseaux sociaux et des objets technologiques en général. Et je dois avouer que malgré le caractère totalement futuriste de l’univers dans lequel évoluent les personnages, on se dit souvent que ça ne serait pas étonnant si on finissait par en arriver là :

« Indridi Haraldsson appartenait à cette catégorie des hommes modernes et sans fil. Rien d’anormal donc, à ce qu’il éructe subitement aux oreilles de quelqu’un « BOISSON AU MALT BIEN FRAPPÉE ! BOISSON AU MALT BIEN FRAPPÉE ! » pendant dix longues secondes sans que ses yeux ou son corps en semblent affectés. La raison de son comportement était toute simple : les annonces publicitaires qu’on lui envoyait arrivaient directement dans les aires langagières de son cerveau. Cela impliquait qu’il était aboyeur de publicités ou tout simplement aboyeur, comme on les appelait le plus souvent. Dans ce cas, sans doute était-il assez fauché pour se trouvé exclu de la plupart des groupes cibles, il était alors vain de lui envoyer des publicités. En revanche, on pouvait se servir de lui pour les transmettre à d’autres personnes : il suffisait de connecter directement les aires langagières de son cerveau aux annonces en utilisant sa bouche comme mégaphone. C’était là une méthode plus percutante que les traditionnelles exhortations diffusées à la radio ou par le biais de panneaux publicitaires. Voilà pourquoi, en croisant un homme qui sortait d’un parking, Indridi s’était écrié : « ATTACHEZ VOTRE CEINTURE ET NE ROULEZ PAS TROP VITE! ». Récemment arrêté pour excès de vitesse et défaut du port de ceinture, l’homme avait été condamné à écouter, par aboyeurs interposés, deux mille annonces de rééducation dont il payait les frais. Là résidait peut-être l’avantage majeur des technologies nouvelles : elles amélioraient la société ».

Le livre idéal pour se décider enfin à se désinscrire de Facebook et Twitter donc, remplacer son smartphone par un bon vieux téléphone fixe des familles et GROGNER contre le marketing web.

Bon allez sur ce il est l’heure pour moi de me rendre à la poissonnerie car en tant que femme au foyer les menus de la semaine indiquent mercredi = maquereau (bisou les végétariens).

7 commentaires
  1. Tango a dit:

    J’ajouterais à cette liste le DVD du film Illégal d’Olivier Masset-Depasse, un abonnement au Monde diplomatique ou à Kairos, un bouquin de Virginie Despentes ou d’Annie Ernaux, Hôpital silence de Nicole Malinconi, Beauté fatale de Mona Chollet (mais tu la considères peut-être comme une féministe de canapé…), la BD Le problème avec les femmes. Mais, mis à part le film, c’est certainement moins « coup de poing » que tes suggestions.

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    • renardeau a dit:

      On s’est mal compris au sujet des féministes de canapé 🙂 je ciblais par exemple quelqu’un comme daria marx, qui sévit sur twitter avec des attaques « coup de gourdin » tellement bêtes que ça donne envie de ne pas être féministe juste pour ne pas être comme elle. Je ne mets pas du tout mona chollet dans le même panier; j’ai beaucoup aimé « beauté fatale » (tu as lu « chez soi »? j’ai trouvé qu’il était hyper bien aussi). Sinon je note les suggestions 🙂 je me suis abonné à Ballast récemment, mais je ne connaissais pas Kairos!

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      • Tango a dit:

        Ah, je ne connais pas Daria Marx (je ne suis pas abonnée à Twitter) mais ce que tu écris ne me donne pas trop envie de connaître cette personne! Et j’ai bien aimé « Chez soi » de Chollet aussi. Je suis contente de voir que tu ne classes pas Chollet parmi les féministes de canapé! En janvier-février, j’aimerais lire « Etats de femme. L’identité féminine dans la fiction occidentale » de Nathalie Heinich (une brique) et « Sexe, genre et sexualités » d’Elsa Dorlin (une petite synthèse en 150 pages des théories féministes des quarante dernières années).
        Je suis tombée sur Kairos par hasard (c’est un petit journal belge, il y a donc parfois quelques débats belgo-belges qui t’intéresseront moins) : je l’achète de temps en temps mais je ne me suis pas encore abonnée.

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  2. moi j’ajouterais des bouquins vénères. On lit vraiment VRAIMENT trop peu de bouquins méchants et c’est une grosse connerie. Genre le chefdoeuvrissime demande à la poussière de John Fante. Ou du Bukowski. Ou du Henry Miller. Ou les éternelles chroniques de Maldoror. Ou j’irai cracher sur vos tombes (qui est quand même un peu plus qu’un gentil polar chic). Ou même Lolita quoi.
    Parce que c’est quand même surtout une époque à s’énerver.

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    • renardeau a dit:

      tiens le lobe (qui rode parfois dans les commentaires) avait déjà conseillé demande à la poussière mais après l’avoir lu, j’ai pas réussi à déterminer si j’avais bien aimé ou pas. bukowski je me le réserve pour quand je serai à la retraite et que je serai un vieux dégueulasse hinhin

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      • Lobe a dit:

        Je continue à roder (j’ai le rodage fréquent) pour dire que quoi que Fante ait pu t’inspirer, je te conseille aussi de sauter sur tous les Vian au pseudo de Vernon Sullivan. Pour se dérouiller. Ah! Dans le genre mégadérouillant, ocazou il ne serait pas passé dans ta sphère de connaissance, l’un des livres les plus soufflants de la décennie (qui a dix ans d’ailleurs): La Horde du contrevent, Alain Damasio.

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  3. Yonrogg a dit:

    London…

    Steinbeck…

    Le bourgeois intraterrestre, par sa superbe médiocrité et sa mesquinerie si raffinée, a réussi à créer une sorte de trouchiottes culturel et social qui anihile l’Art contemporain (trop) savant (pour lui) et la provression des classes défavorisées. Et toi, l’humain commun, tu crèves, pitoyable et piteux, sans n’avoir connu que la terne et blafarde lumière qu’irradie ce piètre gentilhomme qui rêve toujours et encore de grandeur et noblesse.

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