« Le responsable éditorial reçoit 3 à 5 propositions par jour, et tente de répondre à tout le monde. Depuis 2002 il a envoyé un nombre incalculable de mails venimeux, méchants et vindicatifs en réponse à des propositions de collaboration. Comment être sûr d’en recevoir à son tour ? On ne veut pas de sujets. On s’en fout des sujets. Les sujets qui suivent n’ont aucun intérêt : Mon voyage en Transibérien – Mon voyage en général – Le journal de bord du making-of des coulisses de mon voyage – Les musiciens du métro – Les catacombes – Les gens qui travaillent la nuit – Portrait sonore d’un objet – Un jeune artiste marocain entre tradition et modernité – Une association courageuse qui fait des marionnettes avec des taulards handicapés sans-papiers – Vous l’avez déjà fait en 2003 mais j’ai la flemme de chercher sur le site – Je connais très bien quelqu’un qui vous connaît, qui connaît la Présidente d’ARTE, qui connaît la vie – Je parle allemand et souhaite m’investir dans un projet de dimension européenne, etc. Je ne réponds plus à ce genre de courrier autrement que par un hurlement de bête blessée »
– Comment se faire refuser un projet? signé le respo éditorial d’Arte Radio
Salut les saxophones,
Aujourd’hui, retour à la ligne éditoriale fondatrice de ce blog; à savoir: les listes de livres. Et quoi de mieux en cette période post-fêtes que de se pencher sur sa généalogie? Je ne sais pas vous mais moi j’adore les histoires familiales. (interroger renard grand-mère, par exemple, c’est plonger dans le monde merveilleux des années 60 entre deux parts de gratin de courgette (mais je vous raconterai une autre fois)).
Pour ceux qui se découvrent un tropisme pour les autobiographies familiales donc, voici 3 livres que j’ai beaucoup aimés:
Quand j’ai commencé « tout est illuminé » de Jonathan Safran Foer, j’étais un peu sur les nerfs. Déjà, je rappelle que ce mec a écrit « faut-il manger les animaux? » qui est LE livre responsable de la reconversion au houmous de l’ensemble de ma portée. Ensuite, il me semblait que le bouquin avait un souci évident de traduction (je l’ai acheté d’occasion sur internet. je soupçonnais donc une contrefaçon des plus grossières). Pour vous donner une idée du style littéraire:
« Grand-père, dis-je, bougeant son bras pour l’éveiller. Grand-père, il est là ». Grand-père fit une rotation de sa tête de là à là. « Il est toujours à reposer », dis-je au héros, espérant que cela pourrait le faire moins dans la détresse. « Quel beau lilas », dit le héros. « Quoi? » demandai-je. « Je disais quel beau lilas ». « Qu’est-ce que cela veut dire, quel beau lilas? » « Que ça doit lui rendre service. Vous comprenez, lui être utile. » J’utilise cette expression américaine très souvent maintenant. J’ai dit à une fille dans une discothèque célèbre, « Quel beau lilas sont mes yeux quand j’observe ta poitrine sans égale. » J’ai perçu qu’elle percevait que j’étais une personne extra. Plus tard nous devînmes très charnels et elle renifla ses genoux et aussi mes genoux.
J’ai mis deux bons chapitres avant de piger que l’auteur n’était pas un sombre crétin illettré mais que tout ça frôlait le génie. Le livre est composé de 3 récits distincts. Il y a celui de Jonathan Safran Foer, venu en Ukraine démêler l’histoire de sa famille. Il y a celui d’Alex, son guide ukrainien qui est très fier de son américain approximatif tout droit tiré de google translate. Et enfin il y a les lettres qu’Alex envoie à Jonathan pour lui dire ce qu’il pense de son livre au fur et à mesure que celui-ci se construit (Alex signe toutes ses lettres par « ingénument » au lieu de « cordialement ». je trouve ça mignon). Bon bien sûr, comme Jonathan Safran Foer est un peu LE chouchou new yorkais du monde littéraire, un film a été tiré de cette histoire (avec Elijah Wood. c’est pourquoi je ne vous le conseillerai pas)
J’adore Georges Perec (et pas que à cause de son Poil fourni). Pour moi Georges, c’est un peu la France douillette, celle des rues parisiennes qui sentent bon le pain au chocolat au petit matin… Cela dit je n’étais pas très chafouin à l’idée de commencer la lecture de W car j’avais peur que ça soit un livre toc-toc et déprimant (je sortais de la lecture de « quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour? » qui m’avait apporté beaucoup de sérénité. je ne souhaitais pas briser cet équilibre). Au final c’est une lecture que je ne regrette pas du tout. Pour une raison que j’ignore je me suis beaucoup reconnu dans l’histoire (et non, je ne viens pas d’une famille d’immigrés juifs polonais).
« La découverte de la tombe de mon père m’a causé une sensation difficile à décrire: l’impression la plus tenace était celle d’une scène que j’étais en train de jouer: quinze ans plus tard, le fils vient se recueillir sur la tombe de son père; mais il y avait, sous le jeu, d’autres choses: l’étonnement de voir mon nom sur une tombe (car l’une des particularités de mon nom a longtemps été d’être unique: dans ma famille, personne d’autre ne s’appelait Perec), le sentiment ennuyeux d’accomplir quelque chose qu’il m’avait toujours fallu accomplir, qu’il m’aurait été impossible de ne jamais accomplir, mais dont je ne saurais jamais pourquoi je l’accomplissais, l’envie de dire quelque chose, ou de penser à quelque chose, un balancement confus entre une émotion incoercible à la limite du balbutiement et une indifférence à la limite du délibéré, et, en dessous, quelque chose comme une sérénité secrète liée à l’ancrage dans l’espace, à l’encrage sur la croix, de cette mort qui cessait enfin d’être abstraite, comme si la découverte de ce minuscule espace de terre clôturait enfin cette mort que je n’avais jamais apprise, jamais éprouvée, jamais connue ni reconnue. Je portais ce jour-là, pour la première fois, une paire de chaussures noires et un costume croisé sombre à fines rayures blanches. Je m’arrangeai pour ne plus jamais les remettre »
Même topo que « tout est illuminé »: deux textes se superposent; l’un, inventé, met en scène le double de Georges; l’autre, autobiographique, tente de raconter son histoire familiale avec le plus d’objectivité possible. C’est BEAU.
Je vous préviens direct: hypocondriaques, abstenez-vous. Car Anne Ancelin Schützenberger n’est pas le genre de personne à vous dire que vos céphalées persistantes, c’est rien du tout. Non. Anne Ancelin Schützenberger va vous demander si par hasard il n’y a pas eu des pogroms dans votre famille et si la tête de vos ancêtres n’aurait pas fini plantée sur une pique?
Comme vous l’aurez compris, le postulat du livre (Anne Ancelin Schützenberger est un as de l’analyse psychogénéalogique), c’est que rien n’arrive par hasard et que les maladies ou accidents qui nous affectent ne sont parfois que les répétitions d’histoires familiales, de mécanismes de loyauté invisibles et d’injustices. Après, je ne suis pas un grand fan de ce genre d’explications à la mords-moi-le-Freud mais le livre est une succession d’histoires marrantes qui feront sans contexte de vous le clou de la soirée lors de dîners mondains (sans compter qu’il est un pamphlet intraitable en faveur de la divulgation de secrets familiaux, ce qui est très bien si vous voulez mon avis).
Et vous? Est-ce que vous avez lu des livres COOL ce mois-ci? (et est-ce que vos parents sont immigrés juifs polonais?)